Les comportements d’automutilations « scarifications » chez les adolescents
Introduction :
- Les comportements d’automutilation de type « scarifications » sont de plus en plus fréquents chez les adolescents, et de plus en plus identifiés comme problématiques aussi bien par la population que par les professionnels durant ces dernières décennies. Ils pourraient à l’avenir représenter une part importante de la demande de soins en pédopsychiatrie.
Définition des automutilations :
- Les automutilations sont des altérations intentionnelles, conscientes et directes des tissus de l’organisme, sans volonté de mourir. Ce ne sont pas des tentatives de suicide, notamment dans leur intentionnalité, et ils ne conduisent pas à des blessures pouvant menacer le pronostic vital de l’adolescent.
- Ce sont des conduites plus fréquentes chez les adolescents anxieux plus que chez les déprimés ++.
- Ils sont accompagnés d’idéations suicidaires fréquentes, avec au long cours un risque accru de suicide.
Les types d’automutilations :
Plusieurs types d’automutilations, soit des :
- Brûlures: 35% des automutilations.
- Morsures, piqûres, contusions ou pincements localisés.
- Coupures: 75% des patients:
- Incision unique.
- Multitude d’érosions superficielles pouvant couvrir une importante surface cutanée.
Les localisations des automutilations :
- Les bras et l’avant-bras, surtout gauche : cible privilégiée.
- Face antérieure du tronc et des cuisses, cuir chevelu.
- Face interne des cuisses, pourtour des organes génitaux, ou les seins rares → signification particulière.
Les moyens utilisés :
- Les moyens utilisés sont variés, rendant leur éviction impossible même en milieu hospitalier:
- Les cigarette+++: pour les brûlures, ou filtre de cigarette durci au feu.
- Les Lames de rasoir et couteau.
- L’éclat de verre ou de porcelaine.
- Les aiguilles.
- Les morceaux de disque compact brisé à cet effet.
- Les fragments de crayon.
- La réouverture de plaies anciennes.
- Utilisation successive de plusieurs de ces moyens.
Classification :
- Question à poser: s’il faut considérer le comportement automutilateur comme une entité clinique autonome ou bien comme partie intégrante de syndromes cliniques divers.
- L’automutilation est un critère symptomatique du trouble de personnalité « borderline ».
- Il est aussi relevé chez les personnalités histrioniques, antisociales, syndrome post-traumatique, TCA notamment la boulimie.
- Il est classé comme « trouble du contrôle des impulsions non spécifié » dans la classification internationale CIM (F63.9).
- Dans la classification, purement phénoménologique, de « FAVAZZA », il différencie:
- Les automutilations majeures : énucléation, castration, amputation…
- Contexte: psychose aigüe, schizophrénie, mélancolie, intoxication aigüe.
- Les automutilations stéréotypées, rythmique: autisme, retard mentale, atteintes cérébrales organiques.
- Les automutilations modérées ou superficielles: incluent trichotillomanie et onychophagie.
Facteurs de risque :
Plusieurs facteurs de risque sont incriminés, qu’on peut diviser en trois groupes :
- Facteurs de risque individuels:
- Présence de troubles psychiatriques (épisode dépressif majeur par exemple).
- Sentiments de désespoir, pessimisme, vision négative de la vie.
- Abus de substances psychoactives ou d’alcool.
- Atteinte récente de l’estime de soi.
- Faibles résultats scolaires, angoisse de performance.
- Confrontation à la sexualité.
- Facteurs de risques familiaux:
- Antécédents d’abus sexuels et/ou physiques et de négligence.
- Présence d’un comportement automutilateur chez un membre de la famille ou un ami proche.
- Séparation des parents, relations pauvres avec ceux-ci.
- Attente parentale trop forte ou perçue comme telle, notamment de réussite scolaire.
- Surprotection familiale.
- Facteurs de risque sociaux:
- Perte récente d’une figure importante (parent, membre d’une équipe, ami proche, etc.).
- Influence des médias (célébrité qui s’automutile, série ou films avec automutilations...).
- Rupture sentimentale.
- Brimades subies (camarades,..).
- Isolement social/vie en milieu rural.
- Disponibilité des méthodes d’automutilation.
- Appartenance à une minorité ethnique.
Comment évolue le comportement d’automutilation:
- Le comportement perdure souvent une dizaine d’années, se manifestant par des périodes séparées par des intervalles libres parfois prolongés.
- Chronicité : ¾ des patients.
- Deux profils :
- Compulsif: 2 % des patients.
- Impulsif: trois quarts des patients borderline, le plus souvent des coupures (75 %) ou des brûlures (35 %).
Épidémiologie :
- Faible chez l’enfant et s’élève considérablement dès le début de l’adolescence.
- Augmentation de fréquence des comportements auto-mutilatoires chez les adolescents avec le développement de comportement plus socialisés de marquage du corps: tatouages, piercing, look « gothique », « body art ».
- Population générale:
- 4 à 10% de la population générale adulte se seraient scarifiés au moins une fois.
- 1%de façon répétitive.
- 12 à 35% des étudiants américains de « collège » reconnaissent s’être auto-agressés au moins une fois.
- Milieu psychiatrique :
- Tiers des patients consultant en psychiatrie se sont scarifiés dans les trois mois précédents, parmi ceux-ci 45% plus de trois fois.
- Genre :
- Pour nombre d’auteurs, la prépondérance féminine n’est pas certaine.
- Pour d’autres, elle approche 70% des cas.
Comorbidités :
- Les troubles des conduites alimentaires – notamment la boulimie – ½ des boulimiques s’automutilent.
- Le trouble borderline de la personnalité.
Questionnaires d’évaluations :
- Il existe plusieurs questionnaires, surtout descriptifs, permettant l’évaluation des comportements automutilateurs en pratique courante:
- Self-Injury self-report inventory (SISRI)
- Ottawa self-injury questionnaire (OSI)
- Functional assessment of self-mutilation (FASM)
- Self-harm inventory (SHI)
- Chronic self-destructiveness scale (CSDS)
- Self-harm behavior survey (SHBS)
- Harkavy asnis suicide survey II (HASS-II)
- Self-injury survey
Évaluation clinique:
- L’automutilation nécessite une évaluation clinique rigoureuse précisant les points suivants:
- L’historique des comportements d’automutilation.
- La présence d’idéations suicidaires.
- La relation temporelle entre suicidalité et comportements suicidaires.
- Les antécédents et la fréquence actuelle des automutilations.
- L’âge de début, l’évolution, la durée des périodes sans passage à l’acte, les changements au fil du temps.
- Les complications ou les interventions médicales.
- Les états émotionnels, les facteurs déclenchant du passage à l’acte.
- Les suites du comportement, immédiates et ultérieures.
- Le degré d’urgence et d’impulsivité.
- La dystonicité (désir de s’arrêter soi-même).
- La résistance (effort pour s’interrompre soi-même).
- Le contrôle (succès à s’arrêter soi-même).
- L’analgésie.
- L’utilisation de substances avant ou pendant le passage à l’acte.
- L’histoire familiale de comportements d’automutilation.
- Les antécédents personnels de traitement.
Description des automutilations:
- Les automutilations commencent dans 59 % des cas vers l’âge de 12-13 ans et pour près d’un quart des cas vers l’âge de 10-11 ans ou auparavant.
- Un événement déclenchant s’accompagne d’une envie compulsive de se blesser, accompagnée de sentiment qu’il est impossible d’y résister.
- Une conviction de se trouver dans une impasse relationnelle, sans issue, alternative ou contrôle possibles.
- Avec un sentiment croissant de malaise.
- Le passage à l’acte entraîne un soulagement d’une tension psychique interne (angoisse, tristesse, sentiment de solitude, crainte d’abandon, colère voire rage) qui ne trouve pas d’autres voie d’expression.
- Le soulagement est d’intensité et de durée variable.
- Avec un vécu d’obnubilation et de dépersonnalisation à minima.
- Douleur physique:
- Certains patients: aucune douleur corporelle au moment de la taillade.
- D’autres: la douleur physique les soulage.
- Parfois la vue du sang, ou l’intérieure de la plaie est une condition importante pour le soulagement.
- Le soulagement s’accompagne des fois d’une légère euphorie, un certain degré de fierté ou de jubilation.
- Sentiment de maîtrise du monde interne et d’emprise sur l’objet.
- Dans la majorité des cas, ces scarifications se pratiquent dans la solitude.
- Elles peuvent être dissimulées (méconnues de l’entourage, parents+++), surtout quand ils sont épisodiques.
- Elles sont données à deviner par une manche discrètement relevée à moitié sur la plaie : test d’investissement de l’entourage.
- Cette méconnaissance comprise par l’adolescent comme un manque d’intérêt.
- Elles sont rarement pratiquées en groupe, mais peuvent être très contagieuses dans certains lieux (internat, prison, service hospitalier…).
« Si vous ne remarquez rien, c’est bien la preuve que vous n’en avez rien à fiche de moi (c’est un abandon), si vous réagissez, sachez que je ne vous ai rien demandé et que vos interventions sont une intrusion inadmissible dans un domaine qui ne regarde que moi, mon corps m’appartient! »
- Explication donné par les adolescents « se couper pour se soulager, pour expulser la souffrance hors de soi en la matérialisant dans une douleur corporelle, visible ».
- Les adolescents, face à leurs scarifications, sont capables, en relation avec un tiers-le clinicien- de joindre des mots et de donner du sens à leur acte.
Prise en charge :
La prise en charge combien :
- Un traitement par les psychotropes: antidépresseurs (ISRS, IRSN), Thymorégulateurs.
- Des psychothérapies: psychanalytique, cognitivo-comportementale, psychodynamique.
- Prise en charge du trouble sous-jacent et de la comorbidité.
- Si l’épisode est unique ou relativement rare:
- Interruption du geste: si on est présent.
- Soins locaux.
- Reprise élaborative en entretien, immédiat ou différé.
- Si des épisodes répétitifs:
- Panser les blessures auto-infligées par le récit: le discours sur le passage à l’acte.
- Sans jugement de la part des soignants.
- Écoute bienveillante, sans interprétation, sans aller au-delà de ce qui est apporté, d’entendre et d’être là.
- Le clinicien ne cherche pas à éliminer l’acte, mais le prend en considération.
- L’adolescent doit sentir qu’il est accepté avec sa souffrance et sa conduite d’attaque du corps.
- Le clinicien à une fonction de contenance pour ces adolescents, amener l’adolescent à supporter le sens de son acte, à le créer et à le dire.
Conclusion :
- Rechercher systématiquement un comportement automutilateur lors d’une consultation médicale ou psychologique avec un adolescent.
- Être sensibilisé aux signes d’alerte d’un passage à l’acte automutilateur.
- Suspecter des antécédents de maltraitance survenus durant l’enfance.
- Ne jamais banaliser un comportement automutilateur particulièrement s’il se répète.
- Distinguer le passage à l’acte automutilateur d’un geste suicidaire.
- Considérer le comportement automutilateur à la lumière de la problématique globale présentée par l’adolescent(e).
- Penser les soins de manière intégrée et dans une optique multifocale.